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lundi 30 mai 2016

Dans son propre rôle


Fanny Chiarello dresse habilement et délicatement les portraits de deux femmes aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Fennella est domestique au sein d'un manoir dans la campagne anglaise. Un traumatisme l'a laissée muette, et c'est dans une ambiance feutrée et discrète que nous faisons sa connaissance. Jeanette est quant à elle femme de chambre au Grand Hôtel de Brighton. Elle a perdu son mari, Andrew, durant la guerre. La relation fusionnelle qu'ils entretenaient la rend aujourd'hui bien incapable de s'imaginer continuer à vivre autrement que dans un état semi-éveillé baigné des souvenirs qui habitent constamment son esprit écorché. Une lettre envoyée à la mauvaise adresse va permettre à ces deux femmes d'entrer en contact et de renverser leurs destins en s'octroyant à chacune la possibilité de vivre à nouveau.


Dans son propre rôle est un roman magnifique duquel s'échappent une grâce et une subtilité qui rendent l'histoire forte et émouvante. Les voix de Fennella et de Jeanette s'alternent et se font écho au fil des chapitres tout en gardant leur singularité. Dans la première partie du récit le lecteur prend conscience tout ce qui les distingue et de tout ce qu'elles sont susceptibles de s'apporter mutuellement, avec en filigrane l'évocation d'une passion commune pour l'opéra qu'elles s'approprient chacunes de façon très personnelle. La seconde partie du roman est quant à elle orientée vers la confrontation des deux univers et histoires des jeunes femmes, avec notamment des moments particulièrement intenses qui ne laisseront aucune d'elles indifférentes. La troisième et dernière partie donne la parole à des héroïnes plus apaisées et offre une belle conclusion à ces destins abîmés mais ô combien résilients.

Fanny Chiarello apporte également une réflexion sur la place que l'on occupe dans le monde, entre celle que l'on se donne et/ou qu'on nous donne et celle vers laquelle on a le courage de tendre. Car les histoires respectives de Fenella et de Jeanette sont aussi de formidables histoires d'émancipation, autant 'physiques' que psychologiques, les deux étant forcément liées. Toutes deux s'offrent la possibilité de se libérer de leur traumatisme et de s'affranchir de la position que la société leur a autrefois attribuée. Car les règles qui régissaient celle-ci apparaissent chaque jour plus absurdes aux yeux de ceux que la guerre a réveillés, et qui pour la première fois s'autorisent à imaginer une réalité à ce qui n'était autrefois que de doux rêves d'idéalistes. 

★★★★ | Dans son propre rôle, Fanny Chiarello, Points, 2015, 229p.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis heureuse de lire que tu es également tombée sous le charme <3

Une valise remplie d'histoires a dit…

Quelle tentation ! Je me laisserai surement séduire ;)

Camilla a dit…

Wahou ! Ta chronique me donne très envie de découvrir ce roman :)