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mardi 12 juillet 2016

La guerre des mercredis

La guerre des mercredis se déroule au début des années 60 aux Etats-Unis, et plus précisément dans la banlieue de New York. Holling Hoodhood, jeune collégien de son état, vient d'apprendre qu'il va passer ses mercredis en compagnie de son professeur d'anglais, Mme Baker. Voilà une nouvelle qui ne le ravit pas du tout, car Holling est certain que Mme Baker a une dent contre lui et va lui faire vivre un enfer ! Mais à côté des corvées d'usage, celle-ci a décidé de lui faire découvrir Shakespeare. D'abord dubitatif, notre héros va peu à peu y prendre goût et se rendre compte que son professeur ne lui veut finalement pas que du mal...


Ce roman jeunesse est une petite perle, pleine de justesse, de tendresse et de beaucoup d'humour. Entendre Holling déclamer des insultes shakespeariennes et comparer les petits drames de son existence aux pièces du dramaturge est un régal, tout simplement. Holling est un héros comme on les aime, et son flegme n'y est certainement pas pour rien ! Il est intelligent, entier, et plus courageux qu'il n'ose se l'avouer. Certaines scènes sont à mourir de rire, comme l'échappée des rats nommés Caliban et Sycorax, deux terreurs qui vont sévir durant toute l'année scolaire. Mais ce qui fait tout le sel du roman, c'est le regard que porte Holling sur la vie et son quotidien. Il a un sens de l'humour qui fait mouche, mais qui semble aussi être pour lui une façon d'appréhender certaines réalités qui ne sont pas faciles à accepter. Si la vie de notre héros est loin d'être difficile, elle n'est pas non plus toute rose. Il vit au sein d'une famille qui ne communique pas, chapeautée par un père autoritaire et indifférent. Holling trouve refuge dans le petite monde qu'il se construit, mais il va aussi peu à peu nouer de très beaux liens avec sa soeur, avec laquelle il fonde les bases d'une relation qu'on devine solide. Le contexte politique est lui aussi plutôt lourd à porter au quotidien. Nous sommes en pleine guerre du Viêtnam, et celle-ci touche tout le monde, peu importent les sentiments contradictoires qu'elle engendre.

Le roman est découpé comme une année scolaire, de septembre à juin. Cette construction plutôt simple offre par ailleurs beaucoup au récit. Il apporte dans un premier temps une bouffée nostalgique, d'une part parce que l'histoire se passe dans les années 60 et qu'on ne peut pas s'empêcher de se dire que la vie avait un autre rythme à cette époque, et d'autre part car elle vous fera repenser à votre enfance, et à la douceur et l'insouscience de ces années-là. Voir les mois défiler est aussi un moyen de s'imprégner des saisons, et du temps qui passe. De la longueur d'une année scolaire, mais aussi de la vitesse à laquelle elle passe. Parce que lorsqu'on arrive au mois de juin, on n'a qu'une hâte, c'est de retourner au mois de septembre et de repartir suivre ce personnage si attachant. Je vous laisse avec un passage parlant du mois de novembre que j'ai trouvé très beau, et qui donne une idée de la maturité de notre héros, mais aussi de sa façon de voir les choses, mêlant la poésie du quotidien à sa réalité parfois peu engageante.


"Mais novembre, c'est comme ça. C'est le genre de mois où vous appréciez n'importe quel rayon de soleil ou n'importe quelle trace de ciel bleu au-dessus des nuages, car rien ne garantit qu'il y en aura d'autres. Et, à défaut de soleil ou de ciel bleu, vous espérez qu'il se mette à neiger et que le paysage tout gris se pare d'un manteau blanc si étincelant qu'on en serait totalement aveuglé. Mais il ne neige pas à Long Island, en novembre. Il pleut. Il pleut sans discontinuer." 

Mais au-delà de tout ça, La guerre des mercredis est avant tout un roman qui parle de la beauté et de l'importance de certaines rencontres. Comment un professeur, au cours d'une année, peut apporter à l'un de ses élèves une ou plusieurs clés qu'il gardera pour le reste de sa vie, que ce soit en lui faisant découvrir une passion ou en lui apprenant à avoir confiance en lui. Cette histoire est celle d'une année dans la vie d'Holling, mais c'est surtout l'année où il a rencontré Mme Baker. Et on devine d'emblée que celle-ci restera à jamais gravée dans sa mémoire. J'espère vraiment vous avoir donné envie de vous intéresser à ce merveilleux roman dont la fin m'a beaucoup émue, et qui est devenue incontestablement l'un de mes romans jeunesse préférés. A lire et à relire, pour les petits et les grands.

♥ | La guerre des mercredis, Gary D. Schmidt (2007), L'école des Loisirs, 2016, 377 p.

jeudi 7 juillet 2016

The house on Mango Street

The house on Mango Street figure parmi les classiques du roman d'apprentissage, pourtant je n'en avais jamais entendu parler jusqu'à récemment. Je ne sais plus très bien où, mais ce qui est certain, c'est que j'ai drôlement bien fait de noter le titre et l'auteur, car ce mini roman est une petite perle, et je pense qu'il pourrait plaire à bon nombre d'entre vous qui lisez ce blog.


Sandra Cisneros ne nous raconte pas vraiment une histoire avec un début, un milieu et une fin, elle se fait se succéder toute une série de vignettes qui prennent la forme de chapitres très courts, ne dépassant parfois pas plus d'une demi page. Le contenu de celles-ci est assez divers, mais toutes ces petites touches délicates et poignantes ont pour point commun leur narratrice, Esperanza Cordera, une jeune fille qui vient d'emménager avec sa famille dans une maison sur Mango Street, un quartier hispanique de la banlieue de Chicago. Un peu à la manière d'un journal, Esperanza nous livre ses pensées, ses aspirations et ses questionnements. Elle tente de comprendre avec ses yeux qui ne sont plus tout à fait ceux d'une enfant, ni ceux d'une adulte, les comportements de ceux qui l'entourent. Elle nous parle beaucoup des femmes qu'elle côtoie au quotidien et qui l'influencent, tout en cherchant à s'en démarquer et à rêver d'une autre vie. Pourtant, les yeux d'Esperanza ne portent pas de jugements, et on sent en la jeune fille un farouche attachement à ses racines, même si ses envies d'émancipation et d'ailleurs restent prédominantes.

Extrait :
My name.
In English, my name means hope. In Spanish it means too many letters. It means sadness, it means waiting. It is like the number nine. A muddy color. It is the Mexican records my father plays on Sunday mornings when he is shaving, songs like sobbing.It was my great-grandmother's name and now it is mine. She was a horse woman too, born like me in the Chinese year of the horse - which is supposed to be bad luck if you're born female - but I think this is a Chinese lie because the Chinese, like the Mexicans, don't like their women strong.My great-grandmother. I would've like to have known her, a wild horse of a woman, so wild she wouldn't marry. Until my great-grandfather threw a sack over her head and carried her off. Just like that, as if she were a fancy chandelier. That's the way he did it.And the story goes she never forgave him. She looked out the window her whole life, the way so many women sit their sadness on an elbow. I wonder if she made the best with what she got or was she sorry because she couldn't be all the things she wanted to be. Esperanza. I have inherited her name, but I don't want to inherit her place by the window (...)

Le style de Sandra Cisneros est plein de poésie et de sincérité. Le roman est rythmé non seulement par cet ensemble de vignettes, mais aussi par la construction des phrases qui est particulièrement intéressante par ce qu'elle apporte en spontanéité et authenticité. Il y a énormément de poésie qui se dégage de ce récit, mais aussi beaucoup de lucidité, et c'est ce qui lui donne, selon moi, son côté unique. The house on Mango Street est une parenthèse dans la vie d'Esperanza qui nous fait découvrir ses pensées les plus intimes et poignantes, comme les plus légères. Toutes auront un rôle dans la femme qu'elle est en train de devenir, tout comme ses livres dont elle nous parle peu, mais dont la simple évocation traduit leur importance à ses yeux. Je sais que c'est un roman qui restera longtemps avec moi, un peu comme A tree grows in Brooklyn, dont l'héroïne n'est pas sans évoquer la jeune Esperanza. J'espère sincèrement qu'il sera un jour traduit en français, car c'est un petit bijou. En attendant, j'invite celles et ceux qui lisent en anglais à ne pas hésiter, vous ne le regretterez pas.

♥ | The house on Mango Street, Sandra Cisneros (1992), Bloomsbury Publishing, 2004, 110 p. Lu en anglais. Pas de traduction française à ce jour.